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Chronique : Les Lundis de Kamel Bencheikh - Paris- 2025-10-27 

27 octobre 2025

 

La beauté comme acte de résistance.

Il faut redonner à la beauté sa fonction première : celle d’un acte de résistance.
Dans un monde saturé d’images, la beauté ne brille plus — elle se cache. On la croit
ornement, elle est blessure. On la croit décorative, elle est subversive. La beauté n’est pas le
contraire de la laideur : elle est le refus du nihilisme. Là où l’argent, la propagande ou la peur
cherchent à uniformiser les âmes, elle réintroduit l’écart, la lenteur, le tremblement.

La beauté est un scandale dans l’ère du cynisme. Elle nous oblige à sentir encore, à être
vulnérables, à nous émerveiller là où d’autres comptent. Elle ne s’achète pas, ne s’exhibe pas :
elle se découvre, ou se perd. Et celui qui la cherche vit dangereusement, car il se place en
marge de la marchandise et du pouvoir.

Écrire, peindre, composer — c’est cela, refuser le consentement. C’est dire au monde : « je ne
serai pas de ceux qui s’habituent ». La beauté, quand elle est vraie, n’adoucit pas la vie ; elle
la rend plus exigeante. Elle est ce miroir tendu à l’humanité pour qu’elle se voie nue, faillible,
mais encore digne d’être sauvée.

J’ai souvent pensé que la République aussi devait être belle, non par vanité, mais par fidélité à
ce qu’elle promet : la clarté, la justice, la fraternité. La beauté républicaine n’est pas
esthétique, elle est morale. Elle réside dans un geste, une parole, une main tendue. Dans ce
visage d’enseignant qui croit encore qu’un livre peut sauver une vie. Dans cet homme simple
qui, en pleine nuit, ramasse le drapeau tombé à terre pour qu’il ne soit pas souillé.

Nous avons laissé la beauté se vider de son sens, comme un mot usé. Il faut la rendre à sa
source qui est la vérité. Sans elle, les civilisations deviennent des vitrines, les peuples des
consommateurs de néant.

Résister, c’est préserver la beauté des choses et des êtres. C’est croire qu’elle a encore
quelque chose à dire à l’homme, même dans la ruine du monde.
Et peut-être est-ce là le plus grand acte politique de notre temps : refuser la laideur comme on
refuse le mensonge, pour sauver la part la plus haute de nous-mêmes.

Kamel Bencheikh

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