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Chronique : Les Lundis de Kamel Bencheikh - Paris- 2025-12-08 

8 décembre 2025

120 ans après 1905 sur la Séparation de l’État et de l’État,

la République n’a plus le droit de reculer

Cent vingt ans après la loi du 9 décembre 1905, la France célèbre bien davantage qu’un
anniversaire : elle marque un seuil. Celui où la République doit décider si elle assume encore
pleinement son modèle universel, ou si elle consent à s’effacer devant des forces qui rêvent
d’en finir avec lui.
La séparation des Églises et de l’État fut un choc fondateur. Elle brisa des siècles de
domination religieuse, elle redressa l’État face à l’Église catholique, elle imposa l’idée
révolutionnaire que la puissance publique n’obéit qu’au droit civil. Ce fut un acte de
souveraineté sans équivalent dans l’histoire de France.

Et ne nous racontons pas d’histoires : l’Église catholique s’y opposa de toutes ses forces.
Elle organisa des campagnes de dénigrement, lança des anathèmes, enflamma les consciences.
On accusait la République de trahir l’âme française, d’expulser Dieu, de détruire la morale. Il
fallut un gouvernement solide, une opinion résolue, un Parlement pugnace pour tenir tête à
cette offensive.
La République, elle, n’a pas cédé. Elle n’a pas édulcoré le texte, elle n’a pas renoncé à son
ambition, elle n’a pas tremblé devant les pressions morales et politiques. Et c’est ainsi que la
France a construit son modèle : en refusant la reddition.

Aujourd’hui, l’épreuve est différente mais le mécanisme est le même : certains voudraient
forcer l’État à renoncer à ses exigences, à renégocier la loi commune, à admettre qu’une
religion – l’islam dans certaines de ses manifestations organisées – puisse obtenir ce que les
autres n’ont jamais obtenu : un traitement d’exception.
Ce n’est pas le culte musulman qui pose problème : c’est l’utilité politique que certains
courants donnent à ce culte pour faire pression sur l’État, pour transformer des demandes
religieuses en exigences publiques, pour imposer des normes communautaires là où seule la
loi doit régner.

Soyons frontaux : aucun pays ne peut survivre s’il accepte que la loi religieuse prenne le pas
sur la loi civile.
Aucune société ne tient si des groupes organisés revendiquent des droits particuliers au nom
de leur foi.
Aucun État ne demeure cohérent si des pans de la population contestent l’autorité de la règle
commune dès qu’elle contredit une prescription religieuse.

Et soyons clairs : le catholicisme, le protestantisme, le judaïsme ont connu ce conflit avec la
République. Ils ont résisté, souvent violemment. Mais ils ont fini par accepter. Parce qu’en
France, ce n’est pas la religion qui gouverne. Ce n’est pas la tradition qui dicte. Ce n’est pas
l’observance qui tranche.
C’est la loi.
Point final.

Ceux qui tentent aujourd’hui d’imposer des accommodements, des dérogations, des zones
d’exception, se heurtent à cette réalité fondamentale : la République ne plie pas.
Elle écoute, elle protège, elle garantit la liberté religieuse, mais elle n’obéit pas.
Elle ne négocie jamais le cœur de son autorité : l’universalité de la règle.

Face aux revendications séparatistes, aux pressions communautaires, aux stratégies
d’intimidation, la réponse doit être nette : non.
Non aux menus confessionnels imposés aux institutions.
Non aux demandes de réaménagement de l’espace public au nom d’un dogme.
Non aux logiques qui construisent des territoires où la religion dicte la norme implicite.
Non aux alliances électoralistes qui valident ces dérives.

Non à l’idée — devenue presque banale — qu’il faudrait s’adapter à des prescriptions
religieuses pour “préserver la paix”.

On ne préserve jamais la paix en renonçant à ce que l’on est. On ne protège jamais la liberté
en abandonnant le terrain aux communautarismes.
La paix civile n’est pas un compromis avec les identités religieuses : elle est un compromis
entre citoyens égaux.

Cent vingt ans après 1905, l’alternative est limpide : soit la République affirme clairement que
la loi commune est la seule norme qui organise la vie collective, soit elle laisse s’installer un
pluralisme juridique de fait — prélude à la fragmentation du pays.

La France n’a pas le droit de reculer.
Elle doit retrouver le courage politique de 1905 : ce mélange de fermeté, de lucidité et de
volonté. Elle doit tenir tête à ceux qui rêvent d’ériger la religion en force normative. Elle doit
assumer que l’universalisme n’est pas une opinion parmi d’autres : c’est sa colonne
vertébrale.

Rappeler que la loi de 1905 s’applique à tous, sans exception, n’est pas un acte d’hostilité
envers l’islam : c’est un acte de fidélité envers la République.
Et la République n’a jamais demandé aux croyants d’abandonner leur foi : elle leur demande
seulement de reconnaître que cette foi ne gouverne pas.

Cent vingt ans après 1905, il n’y a qu’une voie pour continuer à faire Nation : la loi commune
— toute la loi commune — et rien d’autre qu’elle.

Kamel Bencheikh

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